Montessori VS Yoga
- Nicolas Delarose
- 9 juin
- 22 min de lecture

Note : cet essai est le fruit d’une intuition apparue en avril 2025, lors de ma formation Montessori orientation 3-6 ans. En étudiant les livres de la pédagogue et en écoutant les cours qu’on me donnait, il me semblait évident que la posture qu’on attendait d’un bon éducateur Montessorien était de celle d’un Yogi. Il m’a fallu plusieurs semaines à méditer sur cette intuition et trouver les mots pour l’exprimer. Ce texte reflète à la fois mon expérience d’éducateur, ma compréhension de la philosophie du Yoga, ainsi que ma compréhension de la méthode Montessori.
Introduction
Je vais évoquer dans ce texte deux courants philosophiques, le Yoga (de la racine Yug, l’union), et la pédagogie Montessori (de la pédagogue et scientifique du même nom).
Le Yoga est un système philosophique et physiologique millénaire, qui se transmet de maître à disciples dans le but de libérer l’homme de l’insatisfaction de la condition humaine. Dans le Yoga Ashtanga, c’est une discipline qui compte 8 branches, dont les postures ne sont qu’une partie. Les respirations, l’éthique de vie et la méditation sont tout aussi importants.
La pédagogie Montessori constitue les observations et pensées d’une pédagogue italienne du XXème siècle, qui se sont propagées de par le monde en 100 ans sous la forme d’une méthode éducative et d’un matériel perfectionné, avec comme principe de laisser l’enfant laisser libre dans le choix de ces activités qui stimulent son intelligence par le mouvement.
Les deux systèmes de pensées se sont rencontrés pour la première fois en 1931 en Angleterre lors de la visite du Mahatma Gandhi, où il proclama un magnifique discours à Maria Montessori, qui était alors en exode.
« Vous avez très justement remarqué que si nous voulons parvenir à une paix véritable dans ce monde et si nous devons mener une véritable guerre contre la guerre, nous devrons commencer par les enfants. Et s’ils grandissent dans leur innocence naturelle, nous n’aurons pas de lutte, nous n’aurons pas à adopter de résolutions vaines. Et nous irons d’amour en amour et de paix en paix, jusqu’à ce qu’enfin tous les coins du monde soient couverts de cette paix et de cet amour dont le monde entier, consciemment ou inconsciemment, a tant faim. »
Nous sommes près de 100 ans plus tard, et force est de constater que le monde, enfants et adultes, a toujours autant faim d’amour et de paix. Nous souffrons tous, sur cette planète, des guerres d’Ukraine ou de Palestine, de la guerre contre les réseaux sociaux ou les jeux-vidéos qui corrompent l’esprit des jeunes, des injustices faites aux enfants dont le système scolaire traditionnel dénigre le besoin d’apprendre activement, des idées radicales qui se propagent de multiples manières, nous souffrons d’avoir tant de temps à travailler ou à passer sur des écrans pour pouvoir subvenir à nos besoins si simples, d’avoir à payer la dette climatique des générations précédentes etc…
Véritablement : nous avons tous besoin d’amour et de paix.
En nous d’abord. Et c’est quelque chose que la méthode Montessori ne me semble pas proposer. Si l’adulte ne fait pas un profond travail sur lui-même, malgré toute la beauté de la philosophie et de la méthode, j’ai peur qu’on ne reproduise la même chose.
Qu’en pensez-vous ?
Pour de nombreuses personnes, la méthode Montessori propose un idéal, une vision, inateignable ou décalée. Je suis d’accord que tout idéal peut éloigner, effrayer, nous empêcher de voir le réel, et c’est son danger. Mais j’aime l’idéal qui inspire. Et pour moi, l’idéal de Montessori, comme celui de Freinet, Neill, Krishnamurti, est un idéal inspirant, qui m’élève.
Cet idéal propose : « Faisons passer le balai à un enfant, et il ira plus naturellement à l’écriture ».
Je pense que cette vision de l’enfant, telle qu’elle est décrite dans les livres de la pédagogue, peuvent culpabiliser les enseignants ou les parents qui ne sont pas prêts à un tel défi. D’ailleurs, il suffit de faire quelques recherches pour voir à quel point la méthode est contestée de nos jours, avec des critiques telles que : "Mon enfant ne sait pas lire, mais sait passer le balai"[1]. En effet, si on veut que son enfant sache absolument lire à 4 ou 6 ans, il vaut mieux le torturer que de l’envoyer dans une école où l’on respecte les rythmes naturels des humains.
Pour dire à quel point la méthode et les principes de la pédagogue n’ont pas été compris, elle-même en rageait encore sur son lit de mort, disant : « Je pointe la lune et on regarde mon doigt ».
C’est exactement ce qu’il s’est passé pour cette maman, elle a vu dans cette méthode une promesse, une croyance, une image, que sa fille allait dépasser ses attentes, mais elle n’a pas su voir la lune (qui est la réalité) de ce que sa fille était vraiment en train de développer.
C’est là qu’intervient la philosophie du Yoga.
Dépasser nos croyances pour voir la vie telle qu’elle est
Le Yoga, bien qu’il soit popularisé par les postures, est bien plus que cela. En vérité, les postures sont 1/8ème de ce que propose le Yoga Ashtanga. C’est la même chose pour Montessori, son matériel est important mais ce n’est pas tout.
Dans les deux cas il y a des principes, chez Montessori : la préparation de l’environnement, le choix libre des activités, l’apprentissage par l’expérience, et l’accompagnement des adultes. Dans le Yoga, les principes sont nommés Yamas : la non-violence, la vérité, le non-vol, l'honnêteté, une vie disciplinée et l'absence d'accumulation de biens superflus.
Dans les deux cas il y a des textes fondateurs, tel que la formation de l’homme ou les Yoga-sutra :
« L’enfant se construit par lui-même, il a, au dedans de lui, un maître qui, lui-même, a un programme et une technique éducative. Si nous connaissons ce maître inconnu, nous pouvons avoir le privilège et le bonheur de devenir ses fidèles serviteurs, en l’aidant comme de bons collaborateurs. »
« Le Yoga est l’arrêt de l’activité automatique du mental. Alors se révèle notre Centre, établi en lui-même. Dans le cas contraire, il y a identification de notre Centre avec l’agitation du mental. »
Évoquer l’agitation du mental est une thématique primordiale, dont on ne parle pas en pédagogie, ni même dans de nombreux cours de Yoga. Pourtant, cette agitation constitue tout ce qui nous détourne d’un véritable bonheur.
Lorsqu’on croit que l’homme est un loup pour l’homme, avec des phrases comme « de toute façon l’humain est… » on ne pourra jamais faire confiance en quiconque, et on se fermera à beaucoup d’opportunité, en amour, en travail, en amitié, et surtout en paix intérieure. On verra partout des charlatans, des envieux, des sociopathes, des ratés, des privilégiés, jamais des hommes femmes et enfants qui font de leur mieux. J’ai lu dans un livre sur le tantrisme tibétain l’invitation à « voir toute personne comme déjà éveillée », cette manière de voir la vie est véritablement transformatrice. Nos croyances guident, consciemment ou non, toute notre vie.
Si je crois que l’argent fait le bonheur, je vais passer ma vie à chercher à en avoir le plus possible, mettant certains de mes besoins primordiaux de côtés, comme le besoin de repos, de bien manger, de faire de l’exercice, de remercier la vie, de prendre soin de ceux que j’aime. L’argent est bien sur important, le Yoga ne nous demande pas de s’éloigner de la vie réelle de notre époque, comme Montessori ne nous demandait pas de laisser l’enfant tout faire. Les deux disciplines nous engagent à trouver un espace de concentration et de satisfaction en soi. Un état qu’on appelle aussi l’état de flow.
Si je centre toute mon énergie sur l’obtention de diplôme, de réussite sociale, d’argent, je vais cultiver cette insatisfaction qui me chuchote en permanence que le bonheur est plus loin, plus tard, autrement, lorsque j’aurais telle somme ou telle position. Pour obtenir cette somme ou cette position, je vais cumuler les besoins non-nécessaires en achetant des choses, j’aurai besoin de compenser cette insatisfaction dans des loisirs ou des voyages, dans une quête d’expériences nouvelles.
Sans me rendre compte, je vais cumuler des actions génératrices de karma, qui d’une manière ou d’une autre, ma reviendront dessus. Et surtout je ne serais jamais dans l’instant présent. Alors que les enfants y sont bien, eux, dans l’instant présent.
Voyez en éducation.
Si je crois que la tristesse est une faiblesse, ou que pleurer n’est pas souhaitable, je vais sans m’en rendre compte transmettre cette idée par des phrases comme « Ne pleure pas », « Les hommes (ou les femmes) ne pleurent pas », « Arrête de pleurer comme un / une … ». Ces idées qui gravitent sans contrôle dans mon esprit vont m’écarter d’une situation réelle. Mais devant mes yeux se trouve un fait concret : un enfant pleure. Et pleurer, que c’est bon parfois ! C’est, pour moi, un de seuls moyens de libérer mes tensions, mes crispations, mes émotions accumulées. Mais nous vivons dans un monde qui renie cette si belle expression de la vulnérabilité humaine. Nous devons refuser cette croyance, comme cette idée qu’il existe des « émotions négatives ». Lorsqu’un enfant pleure, se montre méchant, s’oppose, se fâche, nous devons chercher à comprendre ce qui a contrarié sa liberté et son bonheur.
De nombreuses autres croyances peuplent nos esprits adultes, souvent blessés d’ailleurs, par les croyances de nos parents. Une des pires, et qui agit en sous-marin, est probablement celle-ci : « et pourtant je n’en suis pas mort ». Cette idée rend possible toutes sortes d’atrocités, d’entrave à la liberté de l’autre, de prise de pouvoir sur ces êtres si sensibles que sont les enfants, elle permet la soumission, l’impératif, l’impossibilité du dialogue, tout ça avec juste 7 mots.
Nous avons à ces maux plusieurs remèdes. La culpabilité et la honte sont de très mauvaises médecines et il faut les rejeter car elles empirent le problème. Je crois qu’on peut corriger, voir annuler nos croyances, mais je sais aussi qu’on peut observer nos mécanismes, nos automatismes. Observer, cela veut dire de rester vigilant à ce qui défile dans ma tête.
Ainsi, même s’il y a en moi des croyances destructrices, des pensées horribles, méchantes, je peux m’en détacher. Car je sais désormais qu’elles ne m’appartiennent pas.
Lorsque j’arrive à observer cette pensé, et m’en détacher, je peux être présent avec l’autre, qu’il pleure ou qu’il crie, je peux apporter de l’empathie, du calme, un environnement propice à la compréhension, au partage de cœur à cœur, alors même que mon esprit me propose une interprétation du réel. Grâce à cette capacité d’observation, nous ne perpétuons pas cette dureté de la vie, ni à nous ni à nos enfants.
Alors, nous pratiquons la parole juste[2], comme enseignée par le Bouddha à travers le noble chemin octuple.
Cette parole qui s’abstient de paroles fausses, de paroles médisantes, de paroles dures et de paroles futiles.
Cette attitude juste est exactement ce que prônait Maria Montessori. Elle nous engageait à avoir du recul sur nos automatismes, nous rappelant que « toute aide inutile est une entrave au développement de l'enfant ». Cet engagement, c’est de considérer que notre mission est d’aider l’enfant à se développer selon ses propres dispositions, pas selon les codes de la société, ni selon des traditions dépassées, encore moins selon nos croyances. Pour cela, nous devons voir l’enfant tel qu’il est, ni plus ni moins.
Voici une liste de croyances éducatives très répandues :
- Les filles doivent être modestes / Les garçons doivent être forts.
- Je dois éviter les conflits parce que ça veut dire que je suis une mauvaise mère/ un mauvais père / Il faut punir, sermonner, moraliser l’enfant qui a fait une bêtise.
- Il vaut mieux que je dise oui même si je sens que je devrais dire non. / Il faut dire non dans tous le cas sinon il deviendra gâté.
- Un enfant inactif ou qui rêvasse perd son temps / Il faut protéger l’enfant du travail.
- Un enfant qui a une moustache de chocolat doit absolument être nettoyé tout de suite. (un peu d’humour ne fait pas de mal).
- Etc…
Malgré toute notre bonne volonté, les croyances qu’on porte sur les enfants finissent par définir qui ils sont. Comme les croyances de nos parents et enseignants ont finis par définir qui nous sommes, pour le pire et le meilleur. Et il devient difficile de s’en sortir. Pour cela, nous faisons des thérapies et lisons des livres de développement personnel, et c’est très bien, mais élevons nos enfants avec l’intention qu’ils n’en aient pas besoin.
Surtout, gardons-nous d’appliquer ces conseils aux enfants, ce n’est pas leur responsabilité. Pour l’enfant, la seule responsabilité c’est de vivre sa propre vie !
Gardez en mémoire les paroles de Krishnamurti : « L'éducation consiste à comprendre l'enfant tel qu'il est, sans lui imposer l'image de ce que nous pensons qu'il devrait être. »
Observez, au cours de votre journée, tout ce que vous faites selon des croyances, c’est un exercice passionnant. Nous avons des tas de croyances, certaines servent notre bonheur, d’autres non, mais elles ont en commun de nous garder dans une sorte d’hallucination.[3] Pratiquer le Yoga, cela signifie de rester vigilant de nous-mêmes, de faire preuve de curiosité sur nous-mêmes. Un de mes maîtres de méditation nous disait : « La semaine dernière, je me suis senti complètement déprimé, cela m’a rendu curieux et j’ai passé mon temps à voir qu’est-ce que ça fait d’être déprimé ».
Nos croyances ont la force de tenir une distance entre nous et le réel. Beaucoup de violences qui sont commises ne tiennent, à mon sens, pas tant de notre attitude mais plutôt du fait qu’on est à côté de la plaque, qu’on tienne une distance avec le réel. C’est cette distance qui génère une réaction violente. Et, qu’on le veuille ou non, personne n’est vraiment coupable de cela. Cette distance vient d’une violence qu’on a reçu soi-même à un âge vulnérable de notre vie, mais la personne qui nous l’a faite l’a aussi reçu à son jeune âge. À ceci nous ne pouvons rien faire d’autre que nous donner de l’amour. Donner de l’amour à cette parte de nous qui a été blessée, et donner de l’amour à ces personnes que nous avons blessées.
Pardonner, se pardonner, demander pardon. Et avancer.
Personnellement, j’y travaille depuis 15 ans, et j’ai traversé des dépressions assez souvent, à me confronter à ces lourds bagages. Ce n’est pas facile, et je n’ai pas non plus été aidé. Je n’ai pas cherché d’aide non plus, car ma croyance « Il vaut mieux être seul que mal accompagné » était gravée en moi. Difficile de s’en remettre. Qu’ai-je vécu pour être si méfiant, si susceptible ? C’est après 10 ans, à méditer et à faire du yoga, avec une moyenne d’une heure par jour, avec des grandes phases de voyages et de vides, que j’ai pu mettre le doigt sur ces croyances, si enfouies, sur un manque crucial d’estime de moi, une peur terrible de l’échec, une blessure de rejet, entre autres.
Je me souviens, un jour, d’avoir envie de partager à ma mère une mélodie au piano. Alors que je jouais avec concentration, elle m’a dit une phrase comme « Encore un de ces artistes qui ne joue qu’avec deux doigts », d’un air méprisant (en tout cas dans mon souvenir). Cette phrase terrible (et la sensation qui l’accompagne) est encore en moi aujourd’hui et reviens chaque fois que je joue du piano, me coupant complètement de ma créativité, de mon talent, ou juste de mon envie de jouer du piano. Et cela arrive si vite. En fait, ça n’arrive pas vite, car cette phrase, ou plutôt son impact sur ma psyché, faisait probablement suite à des milliers de phrases similaires, prononcées depuis ma naissance (voire avant ?), et qui ont profondément affectées mon estime de moi.
Et nous sommes tous criblés de telles remarques.
Le docteur Gabor Maté, célèbre pour son film La sagesse du Trauma et ses livres comme Le mythe de la normalité, nous dit « Pour les personnes qui ont été habituées depuis l’enfance à des niveaux élevés de stress intérieur, c’est l’absence de stress qui semble anormale, provoquant chez elles de l’ennui et le sentiment d’avoir perdu le but ou le sens de leur vie. ». Cela nous dit deux choses : chercher à guérir ce qui en nous ne supporte pas l’absence de stress, et offrir à nos enfants un environnement dénué de stress.[4]
Sur ce chemin, je trouve que les postures de Yoga sont un formidables apprentissage. Lorsque je me mets en chien tête en bas, par exemple, je sens comme il est inconfortable de tenir mes bras et mes jambes tendus, mon bassin en l’air, j’essaye de me corriger mais rien n’y fait, la pratique m’engage à rester, et à respirer. Lorsque je reste dans une telle position, mes croyances sont complètement secouées. Je peux me dire « Je n’y arriverai pas », « C’est complètement nul ce truc », « Je suis trop nul », et pourtant, je tiens. Mon corps en est capable, pas exactement comme sur l’image, pas exactement comme l’idée que je m’en faisais, mais à ma manière. Je me suis détaché de mes croyances, de mon agitation mentale, pour me raccorder au réel, à ce qui est.
Ce qui est : des muscles en action, un mental en tension, un cœur qui bat, et au fond, une âme qui se réjouit de grandir. Se connecter, par l’acceptation de la tension, au corps, constitue la médecine du Yoga.
Aider l’âme d’un enfant
« La leçon exacte et intime, donnée à chacun séparément, est un don que l’éducateur au plus profond de l’esprit de l’enfant. Il s’agit d’aider l’âme qui nait à la vie et qui vivra par ses propres forces. Le besoin d’être au centre de notre attention, de notre amour se trouve dans l’âme de l’enfant. Quand nous apportons quelque chose de neuf à un enfant, nous devons nous dédier exclusivement à lui. L’enfant sait que durant ces quelques minutes lui seul existe et personne d’autre. »
Maria Montessori, et c’est curieux pour une scientifique, avait une approche très spirituelle de la vie. Elle parle de l’enfant comme d’une âme qui est venue sur Terre afin de se développer, ce pour quoi elle a besoin de nous. Lorsque nous enseignons à un enfant, nous ne voyons donc pas « la fille de x » ou « cet enfant à la chemise bleue » ou « celle-là qui ne fait que parler » ou « celui qui perturbe la classe », nous voyons une âme qui cherche à donner le meilleur d’elle-même.
Et la pédagogue nous dit très clairement que cette âme aime travailler, qu’elle a véritablement envie de faire un maximum d’effort, de travailler pour de vrai, à fond !
Personnellement, je fais travailler les enfants dès 4 ans avec des Rubik’s Cube, et cela provoque souvent un grand silence.
Mais, de toute évidence, il faut que le travail (l’activité, le jeu) soit à sa portée, soit intéressant, soit accessible (physiquement, mentalement, émotionnellement), sinon cela deviendra vite de l’ennui ou de l’anxiété. Pour rester dans le flow, il faut un défi qu’on choisisse, qui nous passionne, et qui mette nos compétences en action. Offrir cela à un enfant est le véritable enjeu d’un éducateur Montessorien.
Des psychologues ont défini les caractéristiques du flow[5], et je pense qu’on doit avoir cela en tête lorsqu’on invite un enfant dans une activité :
1. Les objectifs sont clairement définis
2. Le feedback (retour d’informations) est direct et immédiat
3. Équilibre entre la difficulté de l’activité et les compétences de l’acteur
Lorsque ces 3 conditions sont remplies, apparaissent :
4. Hyper-concentration
5. Les frustrations de la vie quotidienne s’effacent
6. Sensation de contrôle de soi et de l’environnement
7. Perte du sentiment de la conscience de soi
8. Distorsion de la perception du temps
Forcément, pour que l’enfant trouve sa concentration, son centre, dans ces activités, il faut un environnement propice. C’est à cela que devra réfléchir l’équipe d’éducateur. Notre rôle est de penser un lieu convivial, agréable, adapté : c’est là que nous devons mettre notre énergie, pas dans le contrôle, les consignes incessantes, les morales. Lorsque je vois des éducateurs, leur travaille semble être d’une telle pénibilité : ils ne font que de reprendre les enfants minute après minute, quel enfer. Ceci est, en vrai, une grande perte d’énergie !
« Alors se révèle notre Centre, établi en lui-même », nous dit le Yoga Sutra, et depuis ce centre, il n’y a plus de perte d’énergie.
Concrètement, cela signifie qu’il faut savoir voir, dans les actes parfois chaotiques ou immatures d’un enfant, des tentatives sincères de s’épanouir. Canaliser cette énergie, rediriger le flux de cet enfant, lui offrir ce dont il a besoin, c’est le véritable chef d’œuvre pour l’éducateur. Pour savoir cela, la méthode nous engage à beaucoup observer chaque enfant. Mais de nouveau, si nous observons avec le filtre de nos croyances, nous n’arriverons à rien. Krishnamurti nous disait : « La plus haute forme d’intelligence est la capacité d’observer sans juger ».
Dans la citation évoquée plus haut, nous sommes invités à être pleinement présent à l’enfant, à « nous dédier exclusivement à lui ». Cet état d’attention, où l’on n’est pas distrait par nos désirs, nos peurs, notre envie de changement, notre passé ou nos pensées sur le futur, demande une énorme discipline. C’est pourquoi je pense que tout maitresse qui souhaite faire du Montessori, devrait d’abord faire du Yoga.
« La perception de l’objet comme quelque chose de réel est le début des ennuis. » nous disent les Yogis, c’est-à-dire l’interprétation qu’on fait des choses, mais aussi nos pensées perturbatrices. Dans le Yoga, on ne cherche pas à faire disparaitre les pensées, mais à atteindre un état où nos pensées ne sont plus vraiment un problème. Les peurs et les distractions pourront être présentes, mais on pourra les observer comme un nuage passe dans le ciel, pour reprendre l’expression Bouddhiste. Cela nous engage à rester très présent à soi. En lien non pas avec notre seul intellect, mais aussi avec notre intuition. C’est de ce point que nous pouvons voir l’enfant. Voir son potentiel, même dans ses erreurs, même dans ses crises et ses tourments. Voir son âme.
Lorsqu’un parle d’âme, on peut entendre beaucoup de choses, plus ou moins solides ou intéressantes. C’est pourquoi je préfère souvent la poésie et l’art aux explications scientifiques ou psychologiques.
Voir l’enfant comme une âme, c’est se souvenir qu’avant la conception il n’existait pas, et que pourtant il est là. Il n’est pas juste une enveloppe qui bouge. Il a son caractère, ses qualités, sa volonté, son libre arbitre. Il grandit, suivant une force intérieure, avec son cœur qui bat si vite. Il s’épuise à explorer et à jouer, il faut tout pour nous ressembler, tout pour nous plaire, tout pour s’adapter, mais quel enthousiasme !
Comment cela est-il apparu ?
Grand mystère.
« Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même, Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, Car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous. Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier. » Khalil Gibran – Le prophète.
Nos enfants ne sont pas faits pour le monde d’aujourd’hui, Maria Montessori nous le rappelait aussi. Les enfants sont faits pour le monde de demain, qu’on ne peut connaître, alors la plus belle chose qu’on puisse leur enseigner est de s’adapter. C’est une citation bien connue, et pourtant, dans la pratique, il semble que la rigidité de la méthode Montessori soit quelque chose de très critiquée. Je pense, personnellement, que derrière la méthode il y a surtout des humains, qui ont réussis à passer des tests et lire des livres, mais n’ont pas absorbés la pensée Montessorienne.
Pourquoi cela ? Car, dans nos sociétés, on essaye de changer depuis notre intellect, depuis notre tête. Dans le Yoga, tout changement vient du bassin.
Shiva, Shakti, et les pédagogues
Dans la tradition Hindouiste, on parle de la divinité Shiva et de son équivalent féminin Shakti. Shiva serait la conscience pure, et Shakti l’énergie créatrice. Ces deux phénomènes pourraient être réveillées depuis la base du bassin, appelée Muladhara, ou chakra racine, et être élevées le long de la colonne jusqu’au chakra couronne Sahasrara, créant l’union avec le divin.
Ce symbolisme peut nous paraitre éloigné de la réalité, inconsistants. C’est aussi ce que disent beaucoup de gens de la méthode Montessori, justifiant qu’elle ne prépare pas à la vraie vie. C’est une des critiques populaires sur les pédagogies alternatives, qui à mon sens relèvent encore une fois de croyances. Croyances qui, à mon sens, ont pour origine un traumatisme. Traumatisme provoqué par un éloignement de notre nature profonde, nature humaine qui est faite de sérénité, de rire, de curiosité, d’innocence, de sacré, d’interconnexion, d’humilité face au Cosmos, face à Dieu.
J’aimerais vous parler de mon expérience.
Lorsque j’ai commencé le Yoga à 25 ans, je ne touchais pas mes pieds. Sans jamais me questionner sur la question, il semblait évident que je ne pouvais pas toucher mes pieds et que jamais je ne pourrais les toucher. Pourtant, j’ai été touché par des humains si bienveillants, si à l’écoute, que cela m’a encouragé à essayer. Que m’ont-ils offerts ? Pas vraiment des conseils, ni des morales, encore moins des théories, ils m’ont offert une présence : ils se sont dédiés exclusivement à moi. J’ai essayé de toucher mes pieds et je n’y arrivais pas, mais cela n’avait pas d’importance. Ce qui comptait, c’était d’aller jusqu’à là où c’est agréable, et de respirer profondément pour me détendre.
Et, de respirer, de me détendre, d’être à l’écoute mes croyances sans les valider, de pratique tous les jours, j’ai fini par toucher mes pieds. Et je ne passe plus un jour sans me toucher les pieds en respirant tranquillement pour conserver cette flexibilité, tant mentale que physique.
La médecine est là : mon corps se dérigidifie, mon mental se fluidifie, mon être se décrispe, mon âme respire. Cela passe par la position de mon bassin, car pour toucher mes pieds je ne dois pas forcément être plus souple, mais surtout placer mon bassin dans une position naturelle que notre mode de vie sédentaire malmène complètement : l’antéversion.
Lorsqu’on pratique le Yoga, on ne cherche pas la performance, c’est comme cette maman qui voulait absolument que sa fille apprenne à écrire alors que sa fille avait vraiment envie de balayer. Performances, exigences, attentes, ne font pas partie du monde proposé par le Yoga, comme du monde proposé par Maria Montessori.
Si vous ne voyez pas le lien entre Yoga et attentes, voici un passage de la Bhagavad-Gita, un des textes sacrés de l’Inde. Ce texte est fameux car il encourage fortement à agir, mais de nous garder d’attendre un résultat. Le renoncement, qu’on croit être de l’action, est en fait un renoncement au fruit de l’action. Ceci nous amène à une pratique fabuleuse : le Karma-Yoga. Agir dans ce monde sans produire de nouveau karma.
Verset : 18.1
« L’homme d’intelligence, établi dans la vertu, qui ne hait l’action défavorable ni s’attache à l’action propice, n’éprouve aucun doute quant à l’agir.
Verset : 18.11
« Impossible, en vérité, est, pour l’être incarné, le renoncement à tout acte. Et donc, le vrai renoncement, on dira que le pratique celui qui renonce aux fruits de l’acte.
Verset : 18.12
« Le triple fruit des actes - désirable, indésirable et mixte — guette, après la mort, l’homme qui n’a pas pratiqué le renoncement. Mais le sannyâsi n’aura ni à jouir ni à souffrir d’un tel fruit.
Ainsi, libéré de l’attente d’un résultat, nous pouvons révéler notre plein potentiel. C’est, en tout cas, la discipline du Yoga. Cela s’applique à tous les actes du quotidien, à commencer par la pratique des postures. Quand on fait du Yoga, on ne cherche pas à atteindre notre plein potentiel dans le fait de toucher nos pieds, mais de déloger les tensions de notre bassin, pour faire circuler notre énergie vitale.
Forcer le dos pour atteindre un objectif. Croyances : réussite malgré la douleur, forcer le corps pour faire comme il faut…
Étendre les hanches avec douceur et conscience jusqu’à atteindre son étirement maximum, sans provoquer de douleur. L’objectif est secondaire, la sensation d’écoute du corps est principale.
Dans toutes les postures de Yoga, on travaille sur la colonne vertébrale, et lorsqu’on termine un cours, souvent, on est bien. On a délogé de nombreuses toxines, on a élevé les flux de notre Kundalini, purifié nos chakras. On termine, allongé en Shavasana, et alors on n’a plus besoin de contrôler notre mental, de méditer, de faire des efforts.
Lorsqu’on termine un cours de Yoga, l’attention à l’instant présent est là, et on découvre un doux état de détente, spontané et naturel. Alors souvenez-vous :
Cet état est l’état permanent du jeune enfant.

Ce qu’on souhaite faire avec cette méthode Montessori, c’est de permettre à l’enfant qui grandit de ne jamais la perdre. Pour cela, on pratique tous les jours, même un peu.
Et lorsqu’on est face à un enfant en crise, qui fait des caprices[7], on sera beaucoup, beaucoup moins stressés. Et on sera beaucoup, beaucoup plus prêts à offrir à cet enfant un travail adapté à son énergie, à ses besoins. Notre action sera celle d’un karma-yogi, d’un saint, d’une véritable aide pour l’enfant.
Pour cela, nous devons le faire de manière inconditionnelle, sans rien attendre en retour.
Alors notre sérénité sera un levier pour aider l’enfant à s’élever. Alors notre bien-être sera une source d’inspiration qui l’encouragera à grandir malgré tous les défis de la vie.
Alors notre regard plein de sympathie sera une lueur d’espoir, comme un phare à jamais allumé dans son cœur, qui le guidera même dans les moments difficiles.
Ainsi, gardons en mémoire le pouvoir transformateur de Shiva et Shakti, non pas pour atteindre une expérience transcendantale, mais pour être plus à même d’accompagner l’enfant. Tout simplement.
Car, si nous sommes dans cet état, nous serons, sans effort, sans contrainte, de merveilleux éducateurs. Non pas car nous aurons tout lu, tout appris, tout compris, mais car nous partagerons avec eux ce même état de bien-être, de béatitude, de joie innée, de curiosité, d’émerveillement.
Celle qu’on appelle en sanskrit : Sat-Chit-Ananda
सच्चिदानन्द.

Nicolas Delarose – 2025
Pratiquer le Yoga de l’éducation
Connaissez-vous le sens du mot Namaste ? En Inde, c’est une formule de politesse, équivalent à « Bonjour », pourtant sa signification est beaucoup plus profonde. Namaste, c’est un mot sacré pour se connecter à soi et à ce qui est aussi présent en l’autre. Une traduction serait « le divin en moi reconnait le divin en toi ». C’est-à-dire de se relier à notre commune humanité, à notre âme qui palpite de vie, notre cœur qui bat, et au-delà, les atomes qui nous composent, tous provenant de la même source : le big-bang, Dieu, Brahma …
Le Yoga de l’éducation, cela signifie de voir cela en l’enfant, à tout moment. Ne jamais oublier qu’il est une âme divine qui reflète notre propre divinité. Voyez l’expression divine des mères qui tiennent leur bébé pour la première fois, c’est ce dont je parle : de ressentir cette même béatitude. Même dans les moments difficiles.
Pour rester connecté à l’instant présent, et se souvenir de la beauté d’être en vie, pour éviter de se laisser prendre par nos pensées de jugement, de culpabilité, de honte, de jalousie, je vous propose plusieurs pratiques[8]. Lorsqu’un enfant me met en colère, ou lorsque l’accompagner m'ennuie, lorsque je suis frustré dans mon autorité, je sais que je dois retrouver mon calme intérieur, accueillir que l’enfant n’est pas le responsable. Ceci est un véritable défi.
Chaque fois, j’essaye de prendre conscience du sol sous ses pieds, ou je me connecte à ma respiration, je retrouve le contact avec mon corps, je m’arrête et je ferme les yeux, je regarde l’enfant et mes réactions avec curiosité, je ressens le vent sur ma peau, j’écoute les oiseaux aux alentours, je lave la vaisselle ou je fais le ménage en étant conscient de mes mouvements… Toutes ces astuces m’aident à rester présent, pour éviter que mon mental, et les mécanismes qui sont associés, ne m'emportent. Une autre pratique que j’utilise est de réciter un mantra dans ma tête. Cela créé un fond sonore qui me permet de me détacher des pensées perturbatrices. C’est une très bonne méthode notamment pour gérer les troubles d’attentions.
Shri Ram Jay Ram, Jaya Jaya Ram
Om Bhur buvah svaha tat savithur varenyam Bhargo devasya dhimahi Dhiyo yonah prachodayat
Hare Raama Raama Raama Seetaaraama Raama Raama Raama Raama Seetaaraama, Raama Raama Seetaaraama
Om Satchitananda Parabrahma. Purushothama Paramatama. Sri Bhagavati Sametha. Sri Bhagavate Namaha. Hari om tat sat. Hari om tat sat.
[1] J’ai trouvé cette critique de maman sur Internet, cela m’a fait hurler de rire ! C’est tellement vrai, tellement honnête, et en même temps cela dénote à quel point la méthode n’a pas été comprise, ou bien expliquée.
[2] Dans le Bouddhisme, comme dans la philosophie vedanta, les notions de bien et de mal n’existent pas puisque ce sont des philosophies non-dualistes. Cela signifie qu’il n’y a pas de « il faut », mais plutôt « dans cette situation, avec la conscience que j’ai en ce moment, il sera préférable de faire cela pour générer le plus de bonheur dans le monde ».
[3] Dans le Yoga, on appelle cela l’ignorance, l’illusion, être endormi, et ceci est basé sur la croyance que nous sommes séparés les uns des autres. Au-delà de la séparation, il y a Dieu, le Cosmos, Brahma, l’esprit-saint, le grand esprit, entre autres noms.
[4] À l’inverse de la tendance moderne qui nous incite à éviter que l’enfant ne prenne des risques (en le protégeant de tout et en le contrôlant), ne soit confronté à la frustration (en lui achetant tout ce qu’il désire ou qu’on croit nécessaire depuis nos peurs) , ne soit pas confronté au malheur (dont chacun donne une définition différente). Ces interventions éducatives sont souvent plus créatrices de stress et de peur que l’inverse.
J’ajoute aussi l’absence de peur, en citant le pédagogue Alexander S. Neill, contemporain de Montessori : "Quand les enfants ne sont pas sous l'emprise de la peur ou de la discipline, ils ne sont manifestement pas agressifs"
[6] Source : Biographie de Maria Montessori https://youtu.be/M8sK2oKKrFI
[7] Pour Montessori, les émotions négatives et les caprices sont le reflet d’un enfant qui n’a pas reçu ce dont il a besoin, dont l’âme demande désespérément à être nourrie d’amour, de compréhension, d’un environnement ordonné, approprié, d’activités enrichissantes. Plutôt que satisfaire ou mépriser les caprices ou émotions qui nous sont désagréables, utilisons-les pour comprendre ce qui les a déclenchés, soyons curieux, et offrons à l’enfant ce qu’il semble lui manquer. Souvent, il saura nous le dire, à condition qu’on l’écoute vraiment.
[8] Appelez cela attitude, exercice, jeu, si cela vous convient mieux.
Comments