Écoutons les enfants au lieu de leur faire la morale !
- Nicolas Delarose

- 18 juil.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 juil.

(Cet article est co-écrit avec ma super pote philo-geek Louise Roduit avec qui j'anime des ateliers philo pour enfants sur Lausanne depuis 2 ans.)
Au début des années 2000, une campagne éducative nationale tentait de favoriser le respect à l'école. J'en ai un très mauvais souvenir ...
J’étais alors au collège, à une période de ma vie où je subissais de l'humiliation à cause de certains professeurs ainsi que des violences physiques de la part d’autres élèves. A la maison, je devais supporter les moqueries de mes frères et une certaine indifférence de mon père. Bien que j'estime avoir reçu un cadre de vie plutôt favorable, ces circonstances ne m'ont pas donné envie de recevoir ce genre de morales. Peut-être était-ce votre cas aussi ?
Lorsqu'on se sent jugé, humilié, comparé, sanctionné, et en même temps si peu accueilli, écouté, accepté, ce qui me semble le lot de tant d'enfants, peut-on rester ouvert aux morales et injonctions éducatives, si nombreuses dans notre époque ?
En fait, pourquoi tout ce qu'on tente de nous inculquer en terme de morale ne fonctionne pas ?
Que pensez-vous de cette phrase : « Dans la vie, tu ne peux rien faire si tu ne respectes pas les autres » ? Dit de cette manière, on est tous d'accord, mais en vérité, a-t-on autour de nous des personnes qui nous en donne un exemple vivant ? Car, sans exemple de respect profond, comment savoir à quoi ça ressemble ? C'est comme expliquer la couleur rose à un aveugle...
"Si le maître exige le respect de ses élèves et en a très peu pour eux, cela provoquera évidemment de l'indifférence et un manque de déférence. La culture du respect pour autrui est un élément essentiel de l'éducation, mais si l'éducateur ne possède pas lui-même cette qualité, il ne peut pas aider ses élèves à atteindre une vie intégrée." Krishnamurti
Parler du respect aux enfants, dans un monde si peu respectueux de leurs besoins me semble affligeant. C'est pourquoi je préfère le dialogue empathique et l'atelier-philo avec les enfants.
La leçon de morale suppose que les valeurs qu’elle cherche à inculquer ne pourraient pas naître d’elles même et s’épanouir naturellement chez l’enfant. Cela revient à considérer que l’humain est mauvais par nature. Ce qui est faux ! On a tous au fond de nous des instincts de coopération, d'entraide, de respect mutuel, d'amitié, d'amour inconditionnel, de communication des émotions, mais pour que ces instincts deviennent des valeurs, il doivent être cultivés. Et c’est rarement le cas.
C’est justement l’enjeu d’un atelier-philo. L’autorité de l’adulte est remplacée par une discussion encadrée où chacun peut donner son avis librement. Là où la leçon de morale impose sa ligne de conduite et nous donne l’impression de ne pas être suffisamment bien, générant de la violence (comme l'injonction à gérer ses émotions), le dialogue philosophique laisse l’espace à la compréhension et aux prises de conscience. Il nous autorise à se faire un avis propre sur une question au même titre que les autres : ce qui génère de l'humanité. Il tend donc à éveiller les valeurs morales, tant sur la forme que dans le fond.
Je me souviens très bien du jour où notre professeur d'histoire-géographie nous a montré ce spot sur une télé, via une cassette VHS (Eh oui...), j’avais alors 12 ans, et je peux vous assurer qu’il n'y a eu aucun impact sur nos psychés d'enfants. Malgré toute la bonne volonté derrière cette campagne, rien n’a changé dans mon environnement scolaire : ni les insultes, ni les jeux violents, ni les moqueries, ni les violences physiques. Et surtout, ce qui n’a pas changé, c’est que je ne me sentais pas vraiment respecté des adultes au quotidien.
Personne, dans mon enfance, ne m'as appris comment faire pour me concentrer, pourtant on m'a reproché de ne savoir le faire par des morales. Personne ne m'a donné des astuces pour gérer mes émotions, pourtant on me l'a reproché par des morales. Idem pour les limites que j'ai bien du poser dans mon enfance, ont-elles été respectées ? Finalement, je me suis replié sur moi-même, et j'imagine que je ne suis pas le seul. Mes problèmes et mes émotions, je les ai enfoui, et il m'a fallu 25 ans de digestion, d'acceptation, de douloureuse ouverture, pour enfin oser avouer à mon père que j'avais subi du harcèlement à l'école.
Avec cette réflexion, je me demande donc comment aider les jeunes générations ?
Si cette enseignante avait ouvert un débat, non pas à partir d'une morale "Il faut être respectueux." mais d'un questionnement "À quoi ça ressemble le respect ?", cela aurait tout changé ! Quel soulagement aurais-je ressenti de pouvoir confier mes problèmes dans un cadre sécurisant, ce genre de cadre si rare et si précieux ! Lorsque j'offre un tel espace aux enfants, je peux ressentir une énergie d'attention, de bienveillance, qui est extraordinaire.
Je pense que si l’on veut inculquer le respect à un enfant, on doit avant tout le respecter !
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Respecter ses jeux, ses codes, ses difficultés, son immaturité, ses émotions, ses intérêts. Ce qui signifie, non pas d’ordonner ou de moraliser, mais d’être curieux de son monde : entrer dans son univers d’enfant pour l’inviter à se familiariser avec notre monde d'adulte.

Les morales toutes faites font exactement l’inverse : elles transmettent le message que l’enfant n’est pas bien tel qu’il est, qu’il devrait utiliser sa raison contre ses émotions, qu’il devrait écouter les paroles d’inconnus au lieu d’écouter son intuition. Bref, cela génère sur le long terme une violence énorme, souvent intériorisée elle aussi, et que l’on retrouve partout dans la société, puisque les adultes ont été des enfants qui ont été moralisés eux aussi. Les enfants qui ont connus des adultes curieux, intéressés et intéressants, n’ont pas le besoin de parler de respect car c’est quelque chose qui leur est naturel.
Lorsqu’on veut transmettre une morale à un enfant, sur des valeurs comme le respect, l’amitié, l’amour, gardons-nous de citer Montessori, Gandhi, Bouddha ou Socrate, mais soyons comme eux : des philosophes. Les philosophes, comme les pédagogues, ne donnent pas des leçons. Ils transmettent par paraboles, ils suggèrent, ils questionnent, ils content. Ils font preuve de curiosité, d’empathie, ils accompagnent l’autre dans sa réflexion pour l’aider à trouver en lui le meilleur. Ils prennent la personne là où elle en est plutôt que de lui souffler ce qu’elle devrait être.
Pour moi, aider un enfant à grandir, c’est d’abord le prendre où il est, avec ce qui l’intéresse.
"Nous ne prenons pas au sérieux les enfants qui jouent. Or comme les enfants sont leurs jeux (ils sont l’avion et l’air quand ils jouent à faire voler un avion), dire que le jeu n’a pas d’importance revient à dire qu’eux-mêmes n’ont pas d’importance." André Stern
Et dans l'exercice de la philo, penser est comme un jeu. La philo comme accumulation de connaissances ou de citations ne m'intéresse pas, c'est entrainer mon esprit aiguisé qui me passionne. Ainsi, chaque fois que je dois résoudre un conflit, soutenir un enfant dans l'accueil d'une émotions difficile, chaque fois que j'interviens pour transmettre une de mes valeurs, j'utilise la philo et l'empathie, et ce avec foi.
Pourquoi parler de foi ?
Je trouve qu'une personne qui a la foi est une personne qu'on a envie de suivre, qui inspire, qui transpire ce qu'elle transmet. Et nous devons avoir la foi en l’enfant, j'entends : la foi que notre confiance portera ses fruits, la foi que de ses jeux émergeront petit à petit des réflexions profondes, une quête personnelle d’émancipation et d’autonomie, un désir de s’élever pour atteindre des sommets que l’enfant choisira de lui-même. Nous devons avoir cette foi, mais aussi nous souvenir qu’il ne le fera pas seul, pas sans nous. Car c’est nous qui lui apportons l’engrais qui déterminera ce qu’il deviendra.
"Voyons l’enfant tel qu’il est, tel qu’il aspire à être ; écoutons battre son cœur, palpiter ses désirs, et plaçons-le dans une atmosphère capable de sustenter et de faire pousser son petit organisme physique et moral. Éduquer ? Certainement. Mais vivre d’abord." John Dewey
Pour en savoir plus sur les ateliers-philo, découvrez l'association Je pense donc c'est chouette, qui intervient sur toute la Suisse Romande ! Lien vers le site et sur Facebook.
Nicolas Delarose et Louise Roduit - Juillet 2025






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