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Reportage World Child Forum 2024




Le World Child Forum est un évènement unique où 200 jeunes de 12 à 25 ans venant du monde entier se sont réuni sous la bannière d'un même village humain, afin de partager ses idées, projets, ses joies et ses peines dans un esprit de co-créativité, d'activisme, de jeu, à Davos, l’endroit même où se déroule le World Economic Forum.


Qui suis-je ?

 

Je suis un éducateur et écrivain humaniste installé à Lausanne. Depuis plusieurs années j’agis et j’écris afin de favoriser une posture d’éducation qui soutient les enfants, y compris ceux à besoins spécifiques, d’explorer leurs jeux, leurs idées, leurs réflexions, dans un esprit de créativité et de non-jugement.

 

Lorsqu’une amie m’a parlé qu’un forum mondial de l’enfance se déroulait en Suisse, j’ai tout de suite envoyé un email pour proposer mes ateliers et mon désir de faire un film pour le public francophone, et reçu une réponse positive dans la semaine. Après deux appels sur Zoom, j’ai senti que les organisateurs avaient confiance en mes compétences et idées, et ai décidé de me lancer dans l’aventure. Je suis donc venu à ce forum sans idée précise de mon implication mais j’ai vite compris que les organisateurs tenaient des valeurs d’auto-gestion, de pouvoir égalitaire et consensuel. Pendant 5 jours, nous avons donc expérimenté ce que pourrait être un futur co-créatif à niveau mondial, un lieu où l’on s’organise de manière spontanée et organique, où chacun a l’espace d’exprimer ses idées et émotions, où l’on n’a même presque plus besoin de parler de patriarcat ou de colonialisme car nous les avons déjà transcendés. Un lieu où l’on n’a pas peur d’évoquer ni la guerre, ni les meurtres, ni les bombes, où l’on peut célébrer et rire sans raison, où l’on peut embrasser son frère ou sa sœur humains.es de toute origine dans le consentement, où l’on évoque nos projets et idées sans aucune limite.

 

Voici le récit jour après jour de ce que j’ai vécu.

 

Dimanche 14 juillet


J’arrive sur les lieux après 4 heures de train, où je découvre la salle de congrès du WEC, déjà occupée de jeune joyeux et pétillants, pieds-nus, bohèmes, artistes, activistes, épanouis et engagés. Je me sens à la maison.





 

On m’amène à l’auberge de jeunesse où je fais la connaissance de Marcel : un homme trapu, sauvage, pédagogue, souriant et spirituel. Je me lie très vite avec lui vu que nous partageons les mêmes idées sur l’éducation : le besoin de se ré-ensauvager, d’être à l’écoute des enfants et de leur poser des questions plutôt que des consignes. Lui suit les enseignements du Coyote (tradition du peuple Lakota) pendant que moi celui de l’éducation nouvelle (tradition Neil-Freinet-Korczak), et nous nous retrouvons parfaitement. Nous discutons de visions éducatives, de cabanes dans les arbres, d’équilibre entre vie sauvage et vie moderne. Demain nous serons avec 180 jeunes de pays et cultures très variés, et nous n’avons aucune idée de ce que nous allons vivre.



Lundi 15 juillet


Dès le matin, j’entends qu’il y aurait besoin de soutien pour gérer les différents groupes. Je me retrouve en duo avec un jeune égyptienne de 25 ans, engagée dans la biodynamie. Avec d’autres coordinateurs qu’on appelle ici « Flow Keepers », nous allons accompagner 180 personnes de 20 pays âgés de 12 à 25 ans. Les participants arrivent au fur et à mesure de la matinée et se voient affectés à un groupe au hasard dont ils ne connaissent pas les membres. Après un rassemblement général dans la salle de congrès, les jeunes sont invités à retrouver leur groupe, appelés « Family Group ». Notre groupe se réunie sous la bannière de la tortue, et je découvre ceux dont je devrai prendre soin durant les 5 jours prochains. Il y a un Allemand, une Bosniaque, un Français (moi), une Égyptienne (ma collègue Hend), et un groupe de Palestiniens : nous sommes 10 personnes de 14 à 36 ans, dont 2 filles qui ne parlent presque pas anglais.




Notre première mission est de construire, avec tous les autres groupes, des structures de bois pour décorer les lieux, sans aucune autre restriction. Pour cela, nous avons à disposition une vingtaine de visseuse électriques, des dizaines de planches de bois, et des vis à l’infini.

Pendant 3 heures, nous décorons tous ensemble le lieu même où se déroule le forum économique mondial de milles couleurs et belles intentions. Je vis un rêve de village humain co-créatif et joyeux. Dans mon groupe, Azhar, une femme voilée de 25 ans, découvre la puissance et le plaisir de la visseuse, pendant que nous tenons les planches en équilibre pour former une construction originale qui deviendra notre QG. Alors que je croyais nécessaire d’organiser les travaux, j’ai vite réalisé nous travaillions mieux en intelligence collective et en confiance. Pendant ce temps, je fais connaissance de Nancy, une jeune palestinienne qui a décidé de ne plus se voiler, et pour cela n’a plus de contact avec ses frères. Nancy me parle de son quotidien teinté de meurtres effectués par l’armée occupante, de bombes tombées sur son ancienne école, et au milieu de ça me dit que, vu mon âge, je pourrais être son père. Après seulement 2 heures de travail partagé, je ressens ces 10 personnes comme une vraie famille.





Après un cercle de frères séparé du cercle de sœurs, d’adultes et de non-binaires, nous avons participé à une scène ouverte. Ce soir, des ougandais ont chanté la paix et l’amour accompagné de leurs percussions, des brésiliens ont récité un texte pour dénoncer les atrocités faites aux peuples indigènes et la forêt amazonienne, une jeune bosniaque a critiqué son système éducatif qui ne permet pas de déployer son plein potentiel, une autre a dénoncé le problème du divorce des parents, des japonais nous ont appris un jeu d’enfants de leur culture. C’est pour moi un rêve qui se réalise.Mardi 16 juilletNotre équipe pluriculturelle a reçu le mot d’ordre, comme tous les autres, d’aller se promener dans les montagnes du Grison, piqueniquer, et réfléchir à notre connexion à la nature. L’organisation fut très difficile et cela m’a remis dans une posture d’animateur de camp de vacances, ce que je n’attendais pas. Motiver les troupes, rendre l’évènement intense et en même temps joyeux, permettre de la liberté tout en suivant un programme et des horaires, m’amuser tout en étant responsable. Mission impossible ? C’est ce que font la plupart des adultes pourtant, en tout cas de mon impression. La question est : est-ce ainsi que nous voulons construire le monde demain ? Question au centre de ce forum.Pendant cette journée, j’ai appris de Tanzaniennes qu’elles pouvaient marcher beaucoup mais qu’elles n’avaient jamais marché en dénivelés, un palestinien a lui remarqué comme la Suisse était un pays propre et que chez lui c’était à chacun de veiller à ses déchets, ce qu’il faisait pour sa famille qui vit ensemble à 14. Nous nous sommes presque tous baigné pieds-nus dans la rivière, je leur ai récolté des fraises sauvages qu’ils ont adoré, nous nous sommes pris en photo, une fois, deux fois, trois fois, puis sans que je puisse me rendre compte, les membres de mon équipe ont continué de se photographier et de se filmer en permanence.


 

Malgré mes efforts pour leur rappeler que nous étions ici pour admirer la nature et respirer profondément le bon air des Grisons, j’ai réalisé qu’il était impossible de leur empêcher de partager ce moment avec leurs amis et familles, vivant dans un pays occupé, et en guerre. Pourtant, j’ai tenté de leur exprimer la chance que nous avons d’être-là, dans cette nature protégée, et leur ai partagé mon désir de vivre ensemble ce moment de communion. Après m’avoir écouté en anglais puis en arabe, Azhar, qui se filmait toutes les 5 minutes, s’est assise en méditation, et Maen qui avait beaucoup fumé jusque-là est resté debout, avec moi, sans bouger. Pendant 10 minutes, nous avons dégusté une « pause du monde », un moment de paix, que, j’espère, ils garderont dans les valises de leur cœur.Mercredi 17 juilletCe matin commence comme chaque matin par de profonds échanges au petit-déjeuner, sur l'éducation, l'économie, le monde, la philosophie, qui donnent le ton de la journée. À 9h30, j'ai retrouvé Hend et nous nous sommes préparés à accueillir les autres, en discutant de nos émotions de la veille, nos réflexions, et nos envies pour la journée. Après 10 minutes d’attente, et alors que les autres groupes discutaient, chantaient ou jouaient, nous n’étions que 3. Nous avons donc commencé à peindre notre construction familiale, espérant montrer un exemple d’implication. Jusque-là, je pensais que je devais éduquer ces jeunes, leur faire comprendre qu’ils devaient respecter les règles du jeu si nous voulions suivre le programme. Mais en les voyant arriver, certains silencieux, certains fumant, certains sur leur smartphone, certains ne faisant pas l’effort de parler anglais, je me suis dit : « et alors ? ».

 

Finalement, nous n’avons fait aucun cercle de parole, aucun jeu de brise-glace, aucune météo intérieure, chacun a pu se joindre au groupe quand il en sentait l’envie, et nous avons finalement tous contribué à peindre, dessiner ou écrit sur la construction.

 

Qui sait ce dont a vraiment besoin un palestinien ou une bosniaque ? Peut-être du temps, de la tranquillité, de la légèreté, peut-être aussi de l’encouragement à participer, des tapes sur l’épaule, des sourires, des blagues, c’est donc ce que j’ai fait.

 

Durant l’après-midi, mes nouveaux amis de Palestine sont allés scène pour évoquer, en compagnie d’un groupe de jeunes Brésiliens venant de l’Amazonie, pour nous confier leurs drames quotidiens. Les brésiliens ont commencé par nous jouer une musique très calme poursuivie de bruits de tronçonneuses, juste pour nous donner un aperçu de l'ambiance locale, puis ils nous ont contés que la forêt était une continuation de de leur corps, que l'or que l’on retrouve en Suisse était illégalement récolté, qu'on détruisait leur forêt pour installer des bovins, qu'on saccageait leurs rivières pour créer de l'énergie verte, et derrière tout ça, des pleurs, des pertes, la douleur de perdre ce qu'ils ont de plus cher. Leur message qui est le plus difficile à entendre, au fond, c'est "Lorsque nous souffrons, et la forêt souffre, vous souffrez, car nous sommes inter-connectés". Les Palestiniens ont parlé de même : "Imaginez que demain, vous n'avez plus de nouvelles de votre meilleur ami, et vous ne savez même pas s’il est vivant ? Imaginez que l'école où vous avez étudié était bombardée la veille ? Leur pancarte "Stop the Genocide" était tenu avec d'autres frères et sœurs d'Israël, ralliés sous le signe la non-violence.

 

Plus tard, j’ai fait la connaissance d’un producteur de musique qui est venu avec 30 000 F de matériel, afin d’enregistrer des chanteurs, chanteuses, et instruments du monde entier, et co-créer un tube multi-culturel dans la spontanéité. Durant les 2 jours suivants, des jeunes de toute langue ont défilés derrière le micro pour porter leur voix, et j’ai participé à jouer quelques notes de synthétiseur, sans savoir quel serait le résultat final.Je réalise que je participe à un grand chantier de jeu pour adultes et jeunes, cette sensation de "ya des copains, ya de l'espace, ya du temps, ya du matériel, amusons-nous ensemble" est merveilleuse et correspond à mon rêve le plus cher. Chose remarquable, je n’ai jusque-là vu personne prendre quoi que ce soit personnellement.Jeudi 18 juilletChaque matin, je sors avec une heure de sommeil de moins, l'ambiance électrique nous capture tous et toutes, et je n'ai qu'une envie, c'est de profiter de ce dernier jour.


Après 2 jours à coacher mon équipe, tout en lâchant mon besoin de contrôler l’humeur ou les horaires, je réalise que je reçois d’eux beaucoup plus que je donne. Leurs sourires, leurs attentions quotidiennes me remplissent et me font réaliser que ma mission n’était autre que de les faire se sentir à l'aise. À présent, ils discutent facilement avec n’importe qui, se sentent suffisamment en sécurité pour me confier leur vie intime, et écouter la mienne. Nous partageons sans filtre ni tabou et j'essaye de garder en tête que dans 2 jours, ils retourneront dans un pays sec où il pleut de bombes. Même s’il m’est impossible d’imaginer la situation de leur pays, je réalise au fil de nos échanges à quel point nous vivons des problèmes similaires, que ce soit dans la famille, avec les amis, les études, le travail, le climat. Un lien solide se créé.

 

Les multiples ateliers du jour nous ont permis d'explorer en petits groupe nos idées d'une véritable démocratie, des solutions pour protéger la forêt amazonienne, des mouvements pour cocréer une danse en vue du Gala, des outils pour le vivre-ensemble. Certaines ont chanté pour le tube de la semaine, certains ont été filmé par une équipe spéciale qui prépare des images poignantes pour les médias, certaines jouent avec les enfants, d'autres aident à l'organisation de cet évènement incomparable. Je participe à un atelier de réflexion pour créer un nouveau récit collectif pour l'humanité. Nous avons collé des post-it de tous ce que nous aimerions voir changer dans le monde, classés par thème, puis avons énumérés les barrières qui empêchaient cela, puis les idées que nous pouvons soutenir grâce à ce forum.



L'ambiance a été refroidie par un post-it qui disait "No LGBTQ+", collé par un jeune allemand qui a exprimé sans aucune gêne son opinion : le sujet est tellement rabattu qu’il se sent lui-même stigmatisé comme hétérosexuel. Un Suisse trentenaire lui a fait remarquer qu’il manquait d’éducation pour avouer cela, puis un Tanzanien cinquantenaire a affirmé avec colère que nous n'avions pas le droit de commenter son avis si nous n'avions pas son âge.

Le débat me paraissait passionnant, mais nous avons dû l’arrêter pour revenir au sujet central : quel monde voulons et pouvons-nous faire émerger ? En tout cas, je crois à un monde où tout peut être entendu et questionné, et je suis reconnaissant que ce conflit soit apparu, même s’il m’a moi-même mis mal à l’aise car la violence m’effraie.


Dans l'après-midi, les locaux (dont les membres du WEC) étaient invités à découvrir ce lieu insolite et révolutionnaire que nous avions créé dans la joie. Je crois avoir vu une dizaine de personne, très bien habillés, très sérieux, venir au Gala, et je pense qu'ils en sont ressortis transformés. Voilà ce qu'il s'est passé en 3 heures.




Des jeunes de favelas ont lu leur manifeste dont j’ai retenu cet extrait poignant : "La résistance est toujours venue des jeunes, si vous nous envoyez des munitions nous construiront des écoles, et si vous nous envoyez des fausses informations nous révélerons la vérité, si vous ne nous aidez pas à améliorer la situation des favelas, nous le ferons sans vous". Puis les groupes de Palestine et d'Ukraine nous ont raconté leur quotidien avec un extrême sérieux "Imaginez que vous perdez votre famille du jour au lendemain ?", "Imaginez que vous revenez chez vous et que votre maison est détruite ?", « Vous voyez cet hôpital ? Sachez qu’il a été détruit il y a 2 jours ». Des bosniaques ont évoqué le ridicule de se haïr pour une question de frontière et de religion avec un panneau « Tu es une personne, pas une religion ». Un humaniste Allemand probablement centenaire a lu sa lettre pour le président de la Confédération : « Cette Terre est à nous tous et c'est à nous tous de la protéger, ensemble. Si vous n'écoutez pas les enfants aujourd'hui, qui le fera ? », suivi de la lettre de sa voisine, Zoé, 19 ans : « Posez-vous cette question "Qu'est-ce que vous avez peur de perdre ?", réfléchissez longtemps et lorsque vous avez trouvé la réponse, écrivez-la. Si vous voulez qu'on ait un bon avenir, vous devez nous écouter, car l'avenir c'est nous. Si vous nous questionnez, soyez patients, car nous ne sommes pas habitués à être interrogés, et encore moins d'être écouté, mais écoutez-nous même si nos réponses sont immatures ou utopiques. Vous avez les moyens, mais nous avons les idées ». Santiago de Colombie nous a encouragé à suivre l'amour et non la peur puisque « Chaque personne autour de nous est une autre version de nous-mêmes ». Tout ceci s'est clôturé par une merveilleuse boum où tout le monde a dansé, avec en ouverture le tube du Forum accompagné du clip vidéo réalisés en 2 jours, j'en ai eu des frissons !Où que je porte le regard, il y a des sourires de toutes les couleurs, des projets qui naissent, des œuvres d’arts de chaque culture, des regards pleins d'amitiés, des rires sans âges, une vie trépignante qui ne souhaite que contribuer à un monde meilleur. Créer et jouer, redevenir des enfants tout en abordant très sérieusement les sujets les plus sérieux de l'humanité et du monde actuel, voilà la vision du World Child Forum, vision qui ira loin.Cette dernière soirée a duré jusqu'à très tard, et pour mon anniversaire du 19 juillet, des jeunes filles d'Ouganda me l'ont fêté selon leur culture. Elles sont arrivées avec un verre d'eau à minuit et me l'ont versé sur la tête, et après m'ont fait de gros câlin et m'ont chanté une chanson. Merci pour cette incroyable expérience. À l'année prochaine.





Nicolas Delarose


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