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La nature humaine veut qu'on apprenne en jouant

Dernière mise à jour : 13 sept. 2023



Cet article présente les théories évoquées par le psychologue du développement Peter Gray, ses observations et conclusions sur une éducation naturelle de l’Homme, l’humain, cet « animal pensant ».


Ces théories sont présentées dans le cadre du 100ème anniversaire de l’école de Summerhill, une école où les enfants peuvent œuvrer librement à leur jeux et volonté toute la journée. Pour en savoir plus sur Summerhill : https://youtu.be/_xqFSHa1FE8


Je partage cette théorie et mon opinion car j’ai la conviction que de nombreuses personnes, même s’ils n’osent l’avouer, entendent comme moi une petite voix qui leur chuchote : Quel est bien le sens de tout ça ? Cette manière que nous avons d’éduquer, de vivre, d’habiter cette planète, n’est-ce pas complètement absurde ?


Je crois que beaucoup se posent des questions, et il me semble qu’il y a de nos jours un besoin sincère de réponses, mais plus souvent pour masquer un manque, mettre un pansement sur une douleur, et non revoir la base du problème.


Changer l’école, organiser des activités pour occuper les enfants, se divertir en fuyant le monde réel, tout cela emblerait insolite ou stupide à un homme simple et sincère qui vit dans la nature (appelons le chasseur cueilleur, nomade, amérindien, ou homme préhistorique). Mais on évite facilement de questionner le problème entier car, je crois, on manque de discernement, de clarté, et nous sommes aveuglés par des jugements hâtifs, des visions ethno-centrées (NOUS les hommes civilisés avons raison et les autres ont tords).


Cet article a pour but de clarifier avec honnêteté ce qu’on peut entendre par une « éducation naturelle ». Une vision où l’enfant apprend tout ce dont il a besoin, sans aucune structure spécifique, sans adulte payé pour cela, sans dogmes ni contraintes.


Au lieu de ça : AMOUR, LIBERTE, JOIE, DECOUVERTE.


La théorie de Peter Gray met en parallèle 3 visions :


1) La théorie de l’évolution et son application dans les processus de jeu chez l’enfant humain.

2) L’étude des peuples de chasseurs cueilleurs et l’attitude des « adultes » face aux « enfants » (je mets entre guillemets car dans ces cultures telle différence n’existe pas).

3) L’expérience des école démocratiques et mouvement d’éducation libres qui tentent de se rapprocher de ces modes de vie, de « non-éducation ».


I) Pourquoi les enfants jouent ?


Voici la théorie renversante de Peter Gray :


Tous les aspects de l’humain tel qu’il est devenu ont été forgés par la nécessite de la sélection naturelle

=> DONC => Les comportements des enfants ont été forgés par la sélection naturelle pour une bonne raison et les enfants les reproduisent spontanément pour une bonne raison

=> DONC => Donc l’enfant vient au monde avec comme bagage de s’éduquer lui-même

=> DONC => Donc il n’est donc pas nécessaire d’éduquer l’enfant, et l’adulte n’a pas prendre en charger l’éducation de l’enfant.


On se demande alors : à quoi sert l’adulte dans ce processus ? Comment le jeu permet-il à l’enfant de devenir un adulte fonctionnel ?


En 1896, Karl Groos écrit les jeux des animaux, où il reprend la théorie de Darwin pour décrire comment le jeu permet aux animaux (humain compris) de grandir, voici son point de vue :

Le jeu semble quelque chose d’inutile, qui ne nous apporte rien, on en tire aucune récompense, gratification, ni à manger, alors pourquoi les mammifère et les humains le font-ils ? Par leurs jeux, les jeunes animaux se mettent en danger en faisant du bruit, en bougeant, ils prennent des risques et peuvent attirer des prédateurs. Groos dit que, selon la théorie de l’évolution, tout animal qui joue s’entraine, pratique les compétences qu’il a besoin de développer pour que son espèce survive.


En effet, les mammifères naissent bien avec certains instincts, mais ces instincts ont besoin d’être entrainés. C’est la fonction du jeu.


Voici les observations de Groos :

- Les animaux jouent lorsqu’ils sont jeunes, pour apprendre les compétences nécessaires à leur survie, les adultes ne jouent presque plus car ils mettent en application ce qu’ils ont appris dans leur quotidien pour survivre et n’ont donc plus besoin de « jouer ».

- Les animaux qui ont le plus à apprendre pour pouvoir survivre dans leur milieu passent plus de temps à jouer enfant : les mammifères jouent plus que les poissons ou amphibiens car ils ont plus de compétences à apprendre pour survivre.

- En regardant les contraintes que l’animal a pour survivre, on peut déduire les jeux qu’il aura : les proies comme les gazelles aiment jouer à fuir ou se cacher alors que les prédateurs comme les lions ou les chiens aiment jouer à se poursuivre.


Groos a appliqué ces théories pour les humains, et a développé cette théorie du « jeu humain » (The play of man, 1901), voici ses conclusions :


- Pour survivre dans leur milieu, les humains ont des contraintes complexes, ils ont donc un grand besoin de jouer pour apprendre les compétences nécessaires à leur survie = Les enfants humains (qui sont libres de jouer) jouent beaucoup plus que tout autre animal sur Terre.

- On peut prédire les jeux d’un animal en connaissant son espèce, mais pas les jeux d’un humain. Si chaque espèce animale joue selon son héritage génétique, et son environnement, les jeux du bébé et de l’enfant dépendent de la culture dans laquelle il grandit.


Cela signifie : nous apprenons tous à marcher ou grandir, mais dans une tribu de chasseurs les enfants jouent à chasser à l’arc, dans une maison où les parents lient les enfants jouent à lire, dans une culture où les femmes pêchent les petites filles jouent à pêcher et dans une culture où tout le monde est rivé sur un téléphone les enfants jouent à manipuler un téléphone. Il faut y jouer car cela semble important dans l’environnement où l’enfant grandir, il observe autour de lui qu’il en aura besoin pour survivre et réussir quand il sera adulte, ce qui est plutôt cohérent.


Alex Gray prolonge ces observations en décrivant comment le jeu sert les fonctions de l’éducation, cette éducation que l’enfant se fait par lui-même. On pourrait penser que l’école a modifié cet instinct, ces besoins de l’enfant à jouer, mais Gray précise que l’école est une chose trop neuve en comparaison avec l‘histoire de l’Homme pour avoir affectée la sélection naturelle, et donc que le bébé et l’enfant humain comporte toujours ces instincts, purs, entiers. Pour mieux comprendre les fonctions du jeu, on doit cela dit observer des peuples où l’enfant peut librement se donner à ses jeux : chez les peuples de chausseurs cueilleurs, dont des anthropologues ont étudié les comportements et modes de vies depuis plusieurs décennies (études très récentes, car dit-il avant cela on les considérait encore comme des sauvages).


Gray tire cette conclusion, qui était une évidence pour tout être humain jusqu’à il n’y a pas si longtemps : Il n’est pas nécessaire d’éduquer l’enfant


Car on a confiance, on sait, on n’a aucun doute qu’il trouvera bien par lui-même. Notre instinct nous le dicte ainsi car ceux qui n’ont pas réussi n’ont pas survécu par sélection naturelle. Et personnellement, c’est aussi la sensation que j’avais enfant.


Voici les instincts / appels / besoins éducatifs dont il parle :


1) La curiosité :


Nous sommes naturellement curieux à propos des choses. Nous avons besoin d’apprendre, de connaitre, de savoir. Les bébés observent tout pour comprendre le monde qui les entourent, et dès qu’ils peuvent bouger ils explorent mordent goûtent, et dès qu’ils peuvent parler ils questionnent. Ils vont découvrir ce qui leur est nouveau. Ce besoin de comprendre est complètement naturel, et l’école a pour mission de désamorcer cette envie, de faire comprendre à l’enfant que son intérêt naturel ne compte pas. Sur un plan pratique, l’enfant ne peut avoir toute sa curiosité satisfaite car il est entouré de 20 autres enfants tout aussi curieux, et à peine un adulte et peu de ressources pour l’aider à y répondre. Il faut donc supprimer la curiosité pour pouvoir apprendre les « apprentissages scolaires ».


2) Le jeu :


Si la curiosité est le besoin de comprendre, le jeu est le besoin/l’instinct pour pratiquer ses compétences, pour s’entrainer à faire les choses importantes pour être adulte. Les enfants jouent pour construire leur physique : ils courent, sautent, crient, montent aux arbres, se poursuivent. Ce que font aussi les autres mammifères, mais seulement ils n’ont pas besoin pour cette construction naturelle d’avoir un stade à parcourir, des poids à porter, des pas à répéter (etc...) qu’on leur offre dans nos sports et jeux éducatifs.


Pour s’éduquer, les enfants humains comme les mammifères doivent prendre des risques : ils sautent de rivières, s’accrochent à des branches, descendent la route en skate, sautent de plusieurs mètres. Parfois, ils peuvent se blesser, et c’est important aussi car ils ont besoin de cette prise de risque. Pourquoi ? Car ils s’entrainent à maitriser leur peur. Et les enfants qui peuvent se livrer librement à ces jeux risqués ont beaucoup plus confiance en eux en grandissant. Mais pourquoi est-ce qu’on joue ? Gray liste tous ce qu’on apprendre par le jeu :

a. Le langage


Le bébé s’amuse avec les sons qu’il entend et qu’il peut reproduire, les premiers mots qu’un enfant prononce ne sont pas pour demander pour pointer des choses mais il les dits par jeu, car cela l’amuse. Il faut bien comprendre cela avant de chercher à interpréter tout ce que disent les jeunes enfants.


b. Construire :


Nous construisons depuis des millénaires : maisons, châteaux, huttes, murailles etc... et c’est donc tout naturel qu’un enfant naisse avec le désir de construire, d’utiliser cet instinct pour s’entrainer à construire des choses.


c. Les règles :


Pour être avec les autres, nous avons besoins de règles, et c’est donc par le jeu qu’on apprend à respecter des règles, pour ensuite respecter les lois et normes implicites qui nous permettront de vivre en société.


Par le jeu, et les règles que l’on décide de suivre, on apprend à suivre les règles de la vie en société, donc le moment de déterminer/créer les règles avant un jeu est essentiel pour l’enfant, autant que les conséquences subies lorsqu’on ne les respecte pas. Car le but des règles, est de faire de la vie un moment amusant mais aussi juste/équilibré, et cela s’apprend en jouant ces règles.


Les jeux vont donc être un reflet des besoins de la vie d’adulte : dans les sociétés de chasseurs cueilleurs, où la compétition n’existe pas, les jeux seront des suites de pas, des jeux coopératifs, alors que dans nos sociétés où la compétition joue un grand rôle, nos règles insistent sur qui sera le meilleur.


d. L’imagination :


Nous avons besoin d’imagination pour créer quelque chose qui n’existe pas, comme le concept de gravité qu’on ne peut « voir ». Les jeux fantastiques sont essentiels, comme les enfants qui se racontent qu’il y a des monstres dans le placard, des animaux imaginaires dans le ciel etc... Par ces jeux, ils forgent leur raisonnement hypothétique, qui est la seule compétence humaine que ne possèdent pas les autres animaux. Travailler l’imagination c’est donc exercer notre plus haute intelligence.


e. Les outils :


Les enfants aiment jouer avec les outils qu’utilisent les adultes de leur culture. Dans les peuples de chasseurs cueilleurs, les enfants jouent avec le feu, dans une société de cultivateurs, les enfants jouent avec les pelles/pioches, et dans une société moderne les enfants jouent avec les ordinateurs. Dans ma génération, nous faisons partie de cette troisième catégorie, j’ai pour ma part passé à mes 16/17 ans des dizaines d’heures à chatter sur internet, créer des univers et imaginer des personnages.

C’est une nécessité biologique que de s’intéresser aux outils qu’utilisent les adultes.

f. Jouer avec des copains copines :

Les enfants ont un besoin/instinct de jouer avec d’autres enfants, et particulièrement en dehors des adultes. Pourquoi ? Pour développer une compétence essentielle à la vie : comment être en relation avec ses pairs. Car si tu ne peux pas collaborer, être en relation, tu ne peux pas vivre. L’homme est bien un animal social, dans le sens où la collaboration est un de ses traits caractéristique dans l’évolution. Et comment apprend-on à vivre ensemble ? En jouant, hors des adultes qui vont interférer avec le jeu, imposer des règles ou des comportements aux enfants.


3) La sociabilité :


Les enfants sont très curieux, et surtout sur les autres. Comment les autres se comportent, parlent... ils apprennent plus en nous observant que dans tout cours qu’on pourrait leur faire. Cela explique l’attrait de la télévision, et de nos jours des réseaux sociaux/influenceurs/youtubeurs : car les parents isolent les enfants du monde des adultes, ils ne peuvent pas créer de de « références », que leur instinct leur pousse à faire auprès de nombreuses personnes, pas juste les parents. On a besoin de nombreux adultes de références pour s’aider à se projeter, à s’imaginer, à se dicter ses propres règles d’évolution.

A travers les médias, l’enfant peut apercevoir le monde des adultes, s’en faire une idée, c’est le seul moyen pour répondre à cet instinct.


4) La volonté, faire ses propres choix :


Notre instinct éducatif nous pousse à faire nos propres choix, et aussi en assumer les conséquences. Pourquoi ? Car tout enfant a envie de prendre la responsabilité de sa vie, de se prendre en main, mais bien sûr à son rythme et à sa façon. On a besoin de découvrir par soi-même ce qu’il faut savoir dans le but de faire ce qu’on souhaite réaliser dans notre vie : « Cela peut être faux, mais j’ai besoin d’essayer pour en être sur ». Donc, dès 2 ans, on va dire « NON » : « Non, ne fais pas à ma place, laisse-moi faire à ma façon ». L’enfant va donc être poussé par son instinct à repousser le contrôle de l’adulte, pas par opposition, pas par mépris, pas par crise de 2 ans ou d’ado, mais car il a BESOIN de s’entrainer par lui-même s’il veut pouvoir survivre quand il sera adulte. C’est un besoin, conscient ou inconscient, de se prendre en charge, peu importe leur âge.


C’est un grand problème à l’école où la volonté personnelle est vue comme un tort, et l’enfant doit apprendre à la réduire pour suivre le troupeau et devenir obéissant. C’est en ce sens que je suis contre l’autorité telle que l’exerce la grande majorité des adultes, que je suis contre les politesses imposées et les formules toutes faites. On ne me fera pas croire que c’est la sélection naturelle qui nous impose des propos tels que : « S’il vous plait / merci », « Salut ça va et toi ça va ? », « je suis nul en maths », et toutes ces phrases toutes faites, qui ne servent pas à grand-chose qu’à nous maintenir bien obéissants. C’est mon avis.


5) La capacité de se projeter / planifier :


Se projeter dans le futur, que ce soit dans 10 ans, 5 heures, ou 1 minute, est essentielle. Et l’enfant l’apprend à travers le jeu : il prévoit souvent une prochaine partie, une prochaine règle, il peut parfois oublier, mais il arrive de se souvenir, et développe ainsi cette capacité à se projeter, et petit à petit se projettent dans leur futur : comment ils vont vivre, gagner de l’argent, ce qu’ils vont étudier, quels arts ou sports ils vont faire ... ça vous rappelle quelque chose ?


6) Le désir de grandir :


Tout enfant veut grandir. Gray entend tout enfant « normal » (normal-pensant ?) : en ce sens Peter Pan (qui veut rester un éternel enfnt) est une invention qui ne correspond à aucun être humain, car son instinct le pousse à grandir, cela parait plutôt logique d’ailleurs. Cette sensation de grandir, chacun peut la ressentir au fur et à mesure de sa vie, et faire ses choix pour devenir l’adulte (le « grand » dit-on dans le langage enfant) qu’il veut devenir.


Toutes ces six fonctions servent l’éducation. Disons l’auto-éducation de l’enfant.


Quel est donc le rôle de l’adulte ?


Notre rôle comme adulte est de permettre à ces instincts de s’épanouir, non de les obstruer. Mais par nos croyances, nos blessures, nos traditions, nos modèles éducatifs, nous les supprimons : à l’école, et à la maison. Mais si nous trouvons un moyen de créer un environnement où l’enfant peut vivre ces instincts sans contraintes, ils s’éduqueront par eux-mêmes. Et c’est ce qu’ils se passent dans les « tribus » de quelques familles, qui vivent souvent nomades et se satisfont de ce que la nature leur apporte en le transformant un minimum.

II) Comparaisons entre peuples « naturels » et peuples « civilisés » :

Dans toutes les sociétés de chasseurs cueilleurs qu’on peut voir sur terre, nous dit Gray, on voit plusieurs similarités :


- Les tribus vivent ensemble en autogestion, en groupe de 20 à 50 individus, sans aucune hiérarchie. Toute personnes qui désire d’ailleurs se mettre au-dessus d’un autre se trouve moquée ou humiliée par la troupe, c’est mal vu car cela nuit à la survie du groupe.

- Dans ces tribus, tout est partagé : matériel, nourriture ...

- Tous les individus sont nomades pour suivre les proies ou certaines plantes, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas garder de chose superficielle.

- Ils dépendent complètement de la coopération : sans partage ils ne peuvent survivre, que ce soit partage de la « garde » des enfants, la chasse, les récoltes ...


Voici les points qui concernent l’éducation :


- Dans ces tribus, personne ne dit à un autre ce qu’il doit faire, et cela va aussi entre adultes et enfants. Les enfants sont libres de faire ce qu’ils veulent et les adultes ne disent pas ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire. Lorsque la nuit tombe, on ne dit pas à l’enfant de se coucher, on n’interfère pas avec sa vie, l’enfant reste avec les adultes jusqu’à qu’il trouve le sommeil. On ne fait aucun suivi de leur éducation car on sait que tout ira bien : on a confiance car on a reçu cette même confiance étant enfant. D’ailleurs, dans cette configuration, comment pourrait-on s’inquiéter ?

- Ce point est révélé dans le livre « le concept du continuum » que je recommande vraiment : l’idée de « mon » enfant ou « ton » enfant n’existe pas, dire à une personne quelle que soit son âge ce qu’elle doit faire ne fait pas partie de leur vocabulaire, la volonté de l’enfant est respectée.

- Les enfants, et adolescents ont un temps illimité pour jouer et explorer. Ils sont libres de jouer toute la journée. Dès 4 ans, âge où on les considère capables de vivre en autonomie hors des adultes, jusqu’à 12 ans, ils passent tous le temps à jouer, faire de la musique, trainer dans un hamac, rire et papoter.


Dans leurs explorations et jeux, ils pratiquent les compétences qui sont importants dans leur culture : pêcher, chasser, peindre ... mais qu’en est-il dans notre culture avec des compétences bien différentes ? Gray explique que l’apprentissage des mathématiques complexes n’est pas moins évident que l’apprentissage de pister un animal. Les compétences que nous considérons comme « supérieures » ou « intellectuelles » ne sont que le reflet de notre orgueil, mais n’ont aucune réalité. En d’autres mots, cela signifie que l’enfant peut tout à fait apprendre par lui-même, par ses jeux, par son plaisir : à lire, à compter, à faire de la géométrie ou de la philosophie, à tisser ou à chanter, toutes ces choses qu’on impose à l’école, comme un mal nécessaire. Juste de la même manière qu’un enfant d’une tribu de chausseur cueilleurs voudra apprendre à pêcher ou viser avec un arc car sa culture le demande.


Mais peut-on appliquer cela dans nos sociétés modernes ?


III) Guide de la non-éducation :

Dans les paramètres de notre époque, et vu comment nos familles et quotidiens sont organisés, l’application de ce mode d’éducation, plutôt de non-éducation, est impossible, il convient d’avoir certains prérequis pour que cela fonctionne. Gray liste cela dit plusieurs points essentiels pour permettre cette éducation naturelle, instinctive. Il s’est basé sur ses recherches dans les écoles de type Sudbury, et les familles qui pratiquent le « unschooling » (non-écolage, instruction en famille), et l’étude des peuples de chasseurs cueilleurs :


1) L’éducation est la responsabilité de l’enfant :


Chaque être humain nait avec cette conviction, cet instinct. Et nous devons avoir une entière confiance dans ce processus, pour ne pas l’obstruer. Notre modèle nous a poussé à apprendre ce qu’on nous contraint d’apprend, qu’on nous demande d’apprendre et non ce qu’on a envie d’apprendre, et la majorité d’entre nous avons abandonné à un certain moment que nous pouvions nous éduquer par nous-mêmes. Notre rôle est donc de mettre notre passé, nos blessures, notre orgueil de coté, et de permettre à l’enfant de satisfaire sa curiosité, lui permettre de comprendre le monde avec et sans nous, d’aller au bout de ses jeux, d’entrainer les compétences qui lui semblent importantes selon ses propres désirs.


2) L’enfant a un temps illimité pour explorer, jouer :


On croit dans nos société que ce doit être un plaisir d’adulte, qui enfin peut faire ce qu’il veut de sa vie et de son argent, mais c’est juste une compensation de ce que nous devrions explorer étant enfant. Cela veut dire que l’enfant doit avoir la liberté de jouer sans avoir dans un coin de sa tête la peur que cela s’arrête : pas une heure de jeu chronométré ou une matinée de temps pour soi, pas juste pendant les vacances, mais toute la journée, tous les jours : pour rêvasser, imaginer, créer, pour s’ennuyer et apprendre à dépasser l’ennui, pour s’immerger complètement dans un domaine ou une passion même nous paraissant futile.


3) La capacité de jouer avec les outils qui sont importants dans la culture :


Les ordinateurs et les tournevis, les colles et pinceaux, les vélos et les trottinettes, les haches et les pelles, les casseroles et les fourchettes ... Dans les écoles libres type Sudbury, les enfants passent des heures à cuisiner, mais ils ont aussi accès aux livres, aux outils, équipements sportifs. Il faut que l’enfant puisse avoir accès à ces outils, et pouvoir les utiliser à son gré. Ce qui ne signifie pas qu’on doive le laisser se mettre en danger.


4) Être en contact avec une variété d’adultes aidants et non jugeant.

L’enfant n’a pas besoin d’adulte pour les tester, les évaluer, les mesurer, les comparer, ou les juger. Ils ont besoin de pouvoir côtoyer des adultes, des grands, qui prennent soin des enfants, qui ont envie d’aider, et apportent tous quelque chose de différents : une compétence, une connaissance, un savoir-faire, un savoir-être. L’enfant veut une relation authentique, où il n’a pas besoin d’impressionner ou de montrer ce dont il est capable pour obtenir quelque chose. Avec cet entourage bienveillant et diversifié, l’enfant sait très bien vers quel adulte se référer lorsqu’il a besoin d’aide. Nous devons absolument déconstruire nos notions de « meilleurs », de « gagnants », dans l’éducation : nous sommes tous à des stades différents, pas meilleurs ni moins bons. Chacun préfère une certaine approche de la vie, une certaine manière d’apprendre, cette diversité est si grande et complexe que la comparaison est la pire des choses dans nos modèles éducatifs. Aidons les enfants, ne les jugeons pas.


5) Laissons les enfants jouer avec des enfants plus grands :

C’est comme ça qu’ils peuvent grandir, en jouant et côtoyant des enfants / adolescents qui ont 2, 4 , ou 6 ans de plus. Les grands poussent les petits plus que tous les cours qu’on pourrait donner. Et les grands sont des exemples pour les petits, cela les motive sincèrement à grandir, et leur donne envie de faire de même quand ils auront grandi.


6) Immersion dans une communauté stable, morale, bienveillante :


L’enfant n’est pas programmé pour grandir isolés du monde. Il a un instinct pour apprendre avec d’autres, auprès d’autres, dans un environnement de confiance, de coopération, un groupe qui partage des valeurs, où chacun prend soin les uns des autres. C’est un des points essentiels développé dans le livre « chasseur cueilleur parent » qui m’a aussi ouvert les yeux sur ce sujet. Stable signifie aussi une certain régularité, des limites cohérentes : dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit, être ferme et bienveillant à la fois.


Dans cet environnement, l’enfant apprend que sa communauté n’est pas là pour servir tous ses besoins égoïstes , car c’est ce qui se passe dans nos sociétés, et j’entends à quel point les parents le regrettent, mais je ne crois qu’aucun ne comprend vraiment les tenants et aboutissants, et c’est ce dont il est question ici. Dans un tel environnement, l’enfant comprend par lui-même qu’il est un membre utile, important, vital, de sa communauté. Il apprend qu’il peut apporter quelque chose au groupe, participer au quotidien, même si c’est minime, même si cela nous semble futile.


Car jouer c’est apprendre. Apprendre c’est jouer.


Réflexions sur les enfants atypiques



Cet article retranscrit au mieux les théories de Peter Gray, dans une traduction personnelle car quasi-inexistante en langue française. Pourquoi ces théories fascinantes et éclairantes ne sont pas diffusées dans nos pays francophones, ou pourquoi cela n’intéresse pas nos libraires ? Je ne sais pas. Comme beaucoup de sujets, cela prendra peut-être 10 ans avant d’arriver chez nous. C’est par un heureux hasard (existe-t-il ?) que j’ai moi-même découvert l’ouvrage « Chasseur cueilleur parent » dans une boutique Gibert à Paris il y a 1 an, livre que j’ai dévoré et m’a vraiment ouvert les yeux, autant que « le concept du continuum ». Ce dernier est aussi culte comparable que le film « La belle verte » pour ceux qui s’intéresse vraiment à l’écologie, à une vision naturelle de l’humain dans son environnement (donc sans psychologie ni médecine moderne, et sans instruction de l’enfant), à la déconstruction de nos modèles et schémas « civilisés ». Culte car ces deux œuvres m’ont provoqué le même choc, le même éveil de « Wow, alors on a vraiment tout faux ? ».


J’ai souhaité ajouter peu de contenus personnels à cet article qui est déjà assez solide, mais je souhaite ajouter quelques éléments concernant les enfants atypiques.


En effet, si on considère que le jeu permet à l’enfant de construire la base sécure de compétences dont il aura besoin, qu’en est-il des enfants qui naissent différemment ? Ceux qui viennent au monde difformes, aveugles ou muets ? Qui ne parlent pas ou qui bougent sans arrêt ? Ceux qui ne semblent rien comprendre à ce qu’on leur demande même après plusieurs années ? Ceux qui restent coincés dans leur bulle personnelle ? Ceux qui regardent le ciel ou le mur toute la journée ? Selon les points de vue avancés au-dessus, si l’environnement est si bienveillant et que la notion de jugement n’existe pas, on le laissera faire, et c’est tout. Mais peut-être que la communauté choisira aussi, pour sa survie, de laisser le bébé aux charognes, et je ne trouve pas ça plus choquant que laisser un enfant seul face à un écran.


Mais est-il possible de l’intégrer à la vie de la communauté ?


Je pense qu’il est tout à fait possible, dans ce mode « tribal » d’existence, où un village participe activement à élever un enfant sans avoir à le contraindre, que l’enfant puisse rester uniquement dans ce qui lui semble juste, et que cet environnement lui permet spontanément de trouver comment il.elle peut participer activement à la vie de la communauté. Et peut-être que pour certains.es ce sera juste de rester auprès de leur maman (ou tout autre figure sécurisante) toute leur vie par incapacité à devenir autonome, et dans cet espace découvrir un jour une passion pour piller le maïs, moudre le blé, nettoyer les bols, suivre les fourmis à la trace, ressentir les prédateurs depuis plusieurs kilomètres, compter les graines, vider l’eau de cuisine, aller chercher du bois, en tout cas une tâche bénigne, simple, et pourtant essentielle. Pour d’autres ce sera uniquement les tâches de désherbage, ou de récolte, jour après jour toute leur vie, pour d’autres ce ne sera rien jusqu’à un moment où par hasard on se rendra compte que l’enfant a un pouvoir d’imagination supérieur, une capacité à guérir avec sa voix ou ses mains extraordinaire, et qu’on lui permettra par initiation et guidance, à devenir un shaman, un.e guérisseur.se.


Ce qui est sur, c’est que pour trouver ces dons authentique, si rares, il faut du temps, de la liberté, et une communauté forte, aimante, plein de sagesse, qui saura laisser ce temps et voir au moment venu les symptômes de telle ou telle vocation. Et ce qui est sur, c’est que dans nos sociétés, cela est presque impossible. Alors, peut-on revenir en arrière sur nos préjugés et vision étroites de la réalité pour mieux accueillir nos enfants juste tels qu’ils.elles sont ?





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